Vidange mentale
Case cérébrale : Dilater le temps
C’est une sensation courante, il parait, d’avoir eu l’impression étant enfant que chaque année paraissait une éternité, alors qu’en vieillissant ces mêmes années filent comme un rien. Oui, c’est même un lieu commun.
Si ce sentiment est parfois déplaisant, c’est qu’il nous rappelle à chaque fois que nous sommes sur un toboggan déjà bien pentu, et qu’on a l’impression qu’un connard s’amuse en plus à rajouter de plus en plus d’eau savonneuse sous notre cul.
Tout cela amène à se poser des questions sur les raisons de cette perception.
On dit parfois qu’une journée bien remplie
parait durer plus longtemps, mais on dit aussi souvent l’inverse.
D’ailleurs on dit aussi de temps en temps qu’une journée à rien
glander est passée super vite, et là aussi on se prend à dire
régulièrement l’inverse. C’est vrai. Si vous dites que j’ai tord, je
dirai l’inverse de toutes façons.
Certes, on peut tenter le coup des
pourcentages, se dire qu’à dix ans forcément chaque année c’est une
grosse partie de notre vie, et les années deviennent peu à peu des
périodes de plus en plus insignifiantes.
Presque tout semble plus grand quand on est petit (sauf les fourmis). Le temps aussi, peut-être.
Certains
parleront de routine. C’est bien, ils connaissent des mots savants
(déconnez pas, ça vient du mot route, qui est issu du latin populaire
rupta, lui-même issu du latin rumpere, signifiant briser).
Au final, comme cette pseudo-réflexion aboutit plus ou moins à des conclusions de merde, reste soit à se dire que bon c’est comme ça soit à jouer les Don Quichotte avec la première idée qui nous tombe sous la main.
C’est là que l’écriture entre en jeu.
C’est une farce.
Non, pas ça.
Pas un coussin péteur ni un seau d’eau
sur une porte entre-baillée (ce qui est pourtant une bonne farce),
pensez plutôt aux tas de viande hachée qu’on fout dans le cul des
volailles de fêtes. L’écriture c’est une farce. Et on la fout dans le
cul de… je sais pas, moi… dans le cul de notre ligne temporelle.
Elle
peut transformer une ligne droite en ligne brisée qui part en
fractales, toujours plus petites, contenant elles-mêmes d’autres
fractales encore plus petites… L’écriture c’est une simulation
d’infini dans un espace fini. Ouais évidemment même en écrivant 24
heures sur 24 on devra bien s’arrêter un jour, mais tout le temps
passé à broder, à créer des plis dans notre histoire, à “marquer”
ces plis qui en fait sont déjà là… tout ce temps est à la fois
long, plaisant, peut-être même un peu utile si on arrive à imaginer
que ce mot ait un sens.
Chopez un souvenir. Posez-le par écrit, vous
vous rappellerez peut-être d’un détail que vous pensiez disparu.
Attrapez-le, notez ça à côté du reste et quelque chose d’autre
encore pourrait apparaître. Vous êtes dans la fractale, une dentelle
qui peut s’approfondir pendant longtemps, c’est votre patience qui
pourrait bien craquer avant votre mémoire, fut-elle un peu
capricieuse.
Votre patience ou votre jugement. Vous vous direz
peut-être que ceci ne mérite pas d’être relevé, que cela est un peu
niais voire honteux. A vous de voir. Brodez comme vous voulez. Mais
vous êtes déjà en train de dilater le temps. Et sans poppers.